Richard Desjardins: Lomer (? La Frenchie Villon)

Carcassonne, automne 1460.Adieu mon frre, adieu ma surdemain l'aube les pieds nus,j'irai dans les vastes noirceursd'o personne n'est revenu.Adieu la Terre, tant si bonne,qui tant d'eau froide m'a fait boire.Adieu Humains, qu'on me pardonnesi je ne laisse que mon histoire.En l'an quarantime de mon ge,hors d'enfance et franc de dettes,pourvu de sens, du moins le crois-je,nul mfait que je regrette.Qui meurt a ses lois de tout dire.coutez bien, honntes gens,car on m'a jug mourir.Je me tais et je commence.Quand vint la vire dedans mes chairsmes mains tendaient vers la chaleur." Profites-en ", disait ma mre," pour un plaisir, mille douleurs. "Et vint le temps de travailler,lever moissons bout de bras,dans bonnes soupes s'y noyer,la joie d'aider qui t'aidera.Et vinrent les amoureuses lisses,fortes fillettes offrant ttinset vint la nuit que je me glissedans leurs cavernes de satin.Qui donc refuse de jouirdes joies du monde quand sincre,quand transglouti de plaisir,comme la mer. Comme en Lomer.Et vint Lomer. Pur trangerclamant nouvelles des quateurs :" Le temps est venu de changer,pour mille plaisirs, nulle douleur. "Il m'instruisit que Terre est rondecomme on le croit en Portugal,que puissance et beaut des nombresferont se rompre les toiles.Je suis de caravane humaine,cueillant le fruit o il se trouve,j'ai travers le pont qui mnede l'amiti jusqu' l'amour.J'ai consenti. Oui, j'ai enfreintles lois du Deutronomeet celles de Saint-Augustin.Je fus all aimer un homme.Cette matire tous n'a plus,trognons de chou et pets de diable,qui pour le bien torturent et tuent,ces mmes qui furent des croisades.Alors qu'un jour dans le vergernous nous aimions sous les olives,ils sont venus nous aspergerde haines lourdes et de chaux vive.Sans cesse ils ont rou Lomer.Sans force, substance ou liqueur,il est tomb sous jets de pierre,son fiel se crevant sur son cur.Ils m'ont tran sous les regardsde tous les fols de Carcassonne,devant des juges en lambeaux noirsqui n'ont jamais aim personne.A l'entendeur voici ma voix :je dis que je suis comme l'eauque jamais nul n'escraseracar toute bte garde sa peau.L'encre se gle, tombe le froid.Mon sang dans ses veines roidit.Qu'on sonne branle le beffroi,que s'ouvre moi le paradis.Pendant que mes juges faillisiront bouillir dans les enfers,dans les courtines de Marie,je m'en irai aimer Lomer.Adieu la Terre, tant si bonne,qui tant d'eau froide m'a fait boire.Adieu Humains, qu'on me pardonnesi je ne laisse que mon histoire.